Elle s’ennuie tellement elle mange les yeux des crevettes !”

À une époque elle essayait encore d’at­trap­er avec son épuisette les quelques papil­lons qu’elle dis­tin­guait dans notre obscu­rité : on la voy­ait suiv­re les mots du vis­age, comme le spec­ta­teur d’un match de ten­nis. Fatiguée ou ennuyée, elle se lev­ait bien­tôt pour aller tri­cot­er ou faire la vais­selle, pen­dant que nous man­gions.

Il y a bien sûr chez elle l’habi­tude des milieux paysans libanais (le repas, c’est juste pour se nour­rir ; pas besoin de s’at­tarder) mais elle reçoit aus­si des heures pour dis­cuter. Il faut donc se ren­dre à l’év­i­dence : ma grand-mère mater­nelle s’en­nuie.

Comme pour trans­former par le rire l’im­age triste, douloureuse, qu’il avait sous les yeux, mon frère jumeau a remar­qué à Noël : “Elle s’en­nuie telle­ment elle mange les yeux des crevettes !”