L’université entre dans la mort

On a l’habi­tude de mobilis­er la biopoli­tique de Fou­cault pour penser la ges­tion et le gou­verne­ment des vivants1Sur ces ques­tions, voir l’ex­cel­lent livre de Daniele Loren­zi­ni : Éthique et poli­tique de soi. Fou­cault, Hado, Cavvell et les tech­niques de l’or­di­naire, Vrin, 2020., qui passent aujour­d’hui par des mesures man­agéri­ales, admin­is­tra­tives, chargées d’op­ti­miser nos rythmes, à la fois pro­fes­sion­nels et ordi­naires, pour les ren­dre plus effi­caces, en célébrant les ver­tus de la flex­i­bil­ité, de l’adap­ta­tion, de la mobil­ité, de l’in­sta­bil­ité.

En tant qu’en­seignant-chercheur, comme tant d’autres (les col­lègues, les étudiant.e.s des uni­ver­sités, les per­son­nels admin­is­trat­ifs, etc.), j’ai d’abord eu du mal à qual­i­fi­er ou à com­pren­dre ce qui m’ar­rivait (ten­dinites, stress, insom­nie, repli, etc.) ; j’ai trou­vé d’in­finies ressources depuis, notam­ment grâce à la sta­bil­ité matérielle que per­met encore la tit­u­lar­i­sa­tion, grâce aux amies — je suis claire­ment priv­ilégié et chanceux. L’une des manières de penser ces réac­tions cor­porelles est d’in­vo­quer le corol­laire de la biopoli­tique : les “con­tre-con­duites” (Fou­cault) ; le corps informe, alerte, s’in­quiète ; il résiste.

Mais le corps s’use aus­si : il dimin­ue, s’amoin­drit, s’anéan­tit (voir “Repenser la mort : per­spec­tives queers et fémin­istes”). Autrement dit  : la biopoli­tique ne suf­fit pas à com­pren­dre ce qui nous arrive car nous n’as­sis­tons plus seule­ment à une opti­mi­sa­tion man­agéri­ale de nos vies. Nous avons davan­tage affaire à des nécrop­oli­tiques (Achille Mbe­m­be) qui opti­misent notre entrée dans la mort, nous tri­ent, hiérar­chisent, désig­nent les plus frag­iles — et cer­tains plus que d’autres : les non tit­u­laires, les vacataires, les étudiant.e.s — comme des cibles dans une indif­férence nationale d’au­tant moins éton­nante que ces vies jugées trop coû­teuses, impro­duc­tives, ne comptent déjà plus ; elles entrent dans la mort sans cri.

Notes   [ + ]

1. Sur ces ques­tions, voir l’ex­cel­lent livre de Daniele Loren­zi­ni : Éthique et poli­tique de soi. Fou­cault, Hado, Cavvell et les tech­niques de l’or­di­naire, Vrin, 2020.